Création de centres de prises en charge des victimes de harcèlement

Le phénomène de harcèlement scolaire n’est pas nouveau. Mais il évolue à travers le temps.  Ce phénomène ne disparaîtra pas, malgré tous les efforts que nous pourrons faire.

Il faut pouvoir y donner une réponse sociétale. C’est à dire tous ensemble, politiques, citoyens et professionnels.

Crédit photos : Freepik.com

Une pétition, portée par deux A.S.B.L., concernant la création de centre de prises en charge des victimes de harcèlement est arrivée au Parlement Wallon.

Les mots de Tom

L’ A.S.B.L. citoyenne « les Mots de Tom », est composée d’ une équipe d’une quinzaine de bénévoles qui militent activement pour sensibiliser aux conséquences et ravages du harcèlement scolaire, en espérant que des prises de conscience émergent et que cela amène à une recherche de solutions, surtout en matière d’intervention et de prise en charge.

Vous le savez, le harcèlement blesse, il meurtrit, il laisse des séquelles irréversibles et, comme dans le cas de Tom et Maëlle, il peut conduire au suicide, ce qui est insupportable. C’est ce qui explique aujourd’hui leur engagement pour la création de centres de prise en charge des victimes de harcèlement scolaire.

S.O.P.H.I.A.

Une A.S.B.L. de professionnels qui essaye de répondre à cet engagement.  Depuis plusieurs année, ils ont fait énormément d’actions de prévention en matière de harcèlement. Au bout de quelques années, ils ont fait le constat que la prévention, aussi motivée et bienveillante soit-elle, ne suffit pas et qu’il fallait aller plus loin. ils ont créé au sein d’un planning familial un service qui, à l’époque, était expérimental et s’appelait SOPHIA, pour essayer d’être plutôt dans l’intervention, dans la prise en charge, dans l’aide aux victimes.

Ce service a été complètement débordé en un an et demi. Il n’avait qu’un mi-temps ; c’était de la folie furieuse. Child Focus renvoyait des gens des quatre coins de la Wallonie. Ensuite, ils ont voulu faire évoluer ce service, face à ce constat des demandes et du manque de capacité de prise en charge des enfants et des familles touchés par le harcèlement.   Le service SOPHIA est devenu le centre de référence et d’intervention « Harcèlement ». 

Actuellement, le service est composé d’une petite équipe de psychologues, d’assistants sociaux et de personnes qui viennent du secteur de la santé mentale.

– Plusieurs études européennes convergent vers des chiffres minimums –

Ainsi, 6 % à 10 % des enfants et adolescents sont victimes chaque année de harcèlement scolaire.

Si on rapporte ces 6 % à 10 % à la taille de la population wallonne d’enfants et d’adolescents, c’est  entre 40 000 et 70 000 enfants.

Que ferions nous ?

Si 40 000 à 70 000 enfants étaient soudainement victimes d’une maladie et se présentaient aux urgences.

Pour comparer, vous connaissez le nombre d’admission covid pour l’année 2020 ?

49 000 personnes ont été hospitalisés

Par ailleurs, un enfant sur trois dit avoir été victime de cyberharcèlement, de harcèlement en ligne.

Cela ressort d’une étude UNICEF-ONU U-Report sur une trentaine de pays, dont la Belgique fait partie.

C’est donc très large. Si l’on reportait cela à la population wallonne d’enfants, on aurait approximativement 220 000 enfants.

Un autre fait scientifique est tiré d’une étude anglaise unique en son genre dans le monde. Les chercheurs ont suivi une cohorte de près de 8 000 enfants pendant 50 ans et ils ont mesuré, entre autres choses, les dommages du harcèlement.  Sur les 15 % d’enfants de cette cohorte qui étaient victimes de harcèlement durant leur enfance, 40 ans plus tard, lorsqu’ils avaient 50 ans, on pouvait encore mesurer scientifiquement, dans quasiment tous les indicateurs socioéconomiques – sanitaires, le taux de divorce, le taux d’emploi, le niveau salarial, la consommation de médicaments en santé mentale, les troubles anxieux, dépressifs, etc….

les conséquences de ce harcèlement qui a eu lieu pendant leur enfance. Le harcèlement, ce n’est pas juste quelque chose dont on peut tourner la page comme cela. Cette étude démontre vraiment les conséquences à très long terme.

Les programmes de prévention, même les plus efficaces, ne réduisent que de 20 % à 30 % la prévalence du phénomène. Donc, même si un jour, en Belgique francophone – c’est très souhaitable – nous avons des programmes de prévention extrêmement pertinents et extrêmement efficaces, nous allons retirer 20 % à 30 % des 40 000 à 70 000 enfants.

La question reste : que faisons-nous pour les 70 % à 80 % qui resteront malgré une prévention de qualité ?  Voilà pour la recherche scientifique.

Plan national de lutte contre le harcèlement

La France est en train de déployer à grande échelle la méthode de la préoccupation partagée dans des milliers d’écoles. C’est une des méthodes qui est utilisé pour mettre fin aux dynamiques de harcèlement.

L’idée est d’avoir une trousse à outils et, tel un plombier, de sortir le bon outil au bon moment.

L’une de celle qui est utilisé le plus, c’est la méthode dite de la préoccupation partagée.

Elle a été validée scientifiquement par des études sur plus de 1 000 interventions par l’Université de Versailles, en France.  Elle est déployée maintenant depuis environ deux ans et depuis un an, ils forment massivement des professionnels à cette méthode d’intervention.  

En Belgique, on commence à avoir des formations qui se déploient sur cette base, mais c’est assez récent

La Flandre utilise une autre méthode qui s’appelle du no blame. Ce sont deux méthodes qui sont des fourches d’une même méthode d’origine. On appelle cela les méthodes Pikas du nom du créateur, M. Anatol Pikas. Cette méthode a donné dans le monde anglo-saxon une sorte de fourche qui est le no blame et dans le monde plutôt francophone latin, une fourche qui est la préoccupation partagée. 

Les deux méthodes sont très similaires, malgré quelques nuances. Il y a certainement, rien que sur ce point, des passerelles à construire, peut-être même une expérience plus large de la pratique de la méthode no blame en Flandre qui est beaucoup plus présente alors que, en Wallonie, sans doute du fait de notre proximité avec la France, on est plus orientés vers la préoccupation partagée.

Services spécialisés versus la question du renforcement des services généralistes.

C’est une vraie question. L’approche devrait être la même que pour les incendies : en première ligne, il faut former des gens aux bons réflexes. En incendie, on appelle cela des EPI. Ce sont des gens qui savent se servir d’un extincteur.  On va passer une journée avec les pompiers, on se met dans la fumée,…

C’est le modèle défendu. En première ligne dans les PMS, dans les écoles, dans les maisons de jeunes, dans les clubs de sport, partout, il faut que des personnes aient une formation minimale et soient des référents de première ligne, qu’ils aient les bons réflexes et évitent les mauvais réflexes.  Bien formés, ces gens pourront gérer 70 % à 75 % des situations qui se présenteront à eux, peut-être même davantage.

Puis, il restera toujours les situations de haute intensité pour lesquelles il faut des casernes de pompiers, des services spécialisés. Ils seront peu sollicités par rapport aux 100 % des situations. Ils n’interviendront peut-être que dans 10 % ou 15 % des situations, mais ces situations sont celles où cela peut déraper, où une tentative de suicide peut avoir lieu en 48 heures.  Certains drames peuvent aller extrêmement vite. Et là, en général, la première ligne, même formée, est dépassée, elle n’est pas en mesure de répondre. La pièce est entièrement en feu et il vous faut quelques casernes de pompiers.  Il est évident que l’on ne peut pas mettre un pompier dans toutes les écoles, dans tous les clubs de sport.  Il faut faire les deux, c’est-à-dire qu’il faut renforcer le généraliste – c’est d’ailleurs très rassurant pour la première ligne – et lui faire savoir qu’il existe en deuxième ligne, en renfort, face aux situations les plus lourdes, une caserne de pompiers.

Le cyber harcèlement

L’explosion du domaine cyber crée de nouvelles formes de harcèlement et, surtout, c’est un accélérateur. En restant dans la métaphore de l’incendie : le cyber ne crée pas plus d’incendies, mais c’est un accélérateur de feu. C’est-à-dire que, là où, avant, un enfant pouvait résister des mois à du harcèlement scolaire parce qu’il rechargeait ses batteries quand il était à la maison, aujourd’hui, comme il est harcelé 24 heures sur 24, en permanence, il n’a plus aucun moment pour recharger ses batteries.  Aujourd’hui, il y a des passages à l’acte après deux, trois, quatre semaines de harcèlement, alors que par le passé, un passage à l’acte venait en général après des mois de harcèlement, voire des années. Tom a tenu quasiment toute sa scolarité secondaire.  Aujourd’hui, avec l’émergence des réseaux sociaux, il n’y a plus aucun gamin qui peut tenir comme cela et encaisser pendant aussi longtemps. Cela renforce la nécessité d’une intervention rapide. Un rendez-vous dans deux mois, c’est juste trop tard, ce n’est pas possible.

Il n’y a pas fondamentalement plus de harcèlement aujourd’hui qu’hier, mais on le tolère moins et il est plus rapide.

Dernier point, selon une étude européenne récente, la situation de polycrises que nous avons connues – notamment la crise sanitaire – a créé plus de victimes potentielles et plus d’auteurs potentiels. Plus de victimes parce que la santé mentale n’est pas très bonne, surtout chez les jeunes. Cela donne plus de jeunes fragilisés et donc plus de victimes potentielles. Mais il y a un double effet : certains jeunes qui ne vont pas bien vont faire le choix d’extérioriser ce mal-être par une agressivité à l’égard des autres et cela va ainsi renforcer aussi le risque d’avoir plus d’auteurs potentiels. Clairement, la situation de polycrises – sanitaire et autres – que nous vivons ces dernières années participe certainement aussi à une augmentation du phénomène, mais il est encore un peu tôt pour avoir des études larges là-dessus.

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